Je suis Alex Lauzon

01/09/2009
à 19h00

Du livre électronique

Gilles Herman, éditeur de la dignement célèbre Caroline Allard (alias Mère Indigne) et Pierre-Léon Lalonde (Un taxi la nuit), publie une introduction intéressante à propos des coûts reliés à la production de livres électroniques.

C’est moi qui assume que son texte représente une introduction, car il y a plusieurs points qui méritent discussions et éclaircissements. J'aurais d'ailleurs voulu publier cette réaction plus tôt ce matin, mais diverses tâches m’ont empêché de le faire. Je précise que je suis désolé pour mon délai, car je veux vraiment participer à la discussion et j'ai l'impression que ça se passe «maintenant» (vive l'instantanéité d’Internet...) et non dans 2 jours.

Colonel Moutarde, dans la librairie, avec le livre électronique

Le premier point qui me saute aux yeux est que selon le découpage présenté par M. Herman, un libraire en ligne (tel que jelis.ca) recueillerait une part de 55% du prix de vente, ce qui est énorme à mes yeux. Le libraire en ligne est aussi le distributeur virtuel, celui qui héberge l’inventaire de livres. En édition papier, le distributeur reçoit actuellement 15% du prix de vente et le libraire 40%. MÀJ: ceci est inexact. J'ai fait une mauvaise lecture. Voir les commentaires sous le billet de M. Herman.

Donc, en suivant le découpage présentement utilisé en imprimé, un libraire comme jelis.ca (Québécor) reçoit une part de lion pour un engagement vraiment, mais vraiment moindre à mon avis.

Un libraire tel que Renaud-Bray doit stocker les livres, il doit retourner certains de ceux qui n’ont pas été vendus, il doit commander ceux qui sont en rupture de stock, bref il doit gérer un inventaire. Il doit gérer des étalages. Tout cela prend des ressources qui sont à mon avis plus grandes que celles nécessaires à faire roucouler paisiblement un site comme jelis.ca.

Franchement, stocker des livres en format numérique est loin d’être complexe, les convertir en format PDF ou EPUB non plus d’ailleurs, c'est un jeu d’enfant à faire. On passe le .doc ou le .pdf directement dans une moulinette et il en sort un beau livre tout fraîchement «epubbé» et prêt au téléchargement. Par la suite, aucune gestion d’inventaire. Le livre ne sera jamais en rupture de stock, jamais en réimpression (à moins qu’il ne soit modifié entre les éditions évidemment) et il ne sera jamais à retirer des tablettes pour faire de la place aux nouvelles parutions.

Moins de travail et moins de ressources ne devraient pas résulter en plus de revenus. C’est un non-sens et à mon tour de dire «Minute Papillon» en rajoutant «Tu vas où avec des skis dans le désert toi!»

À mon sens, la part du libraire électronique devrait plutôt descendre pour atteindre 30% maximum.

Écrire d’amour et d’eau fraîche

Comme le souligne M. Herman, la raison première de l’existence de cette industrie est due aux écrivains, aux auteurs. Le livre électronique ne leur permettra même pas de mieux vivre leur vie, au contraire... La part du libraire-distributeur augmente, mais celle de l’auteur diminue en chiffres absolus. 10% de 20$, c'est 2$ alors que 10% de 30$, c'est 3$... Vous me voyez venir? L’auteur a tout intérêt à ne pas accepter que son livre soit en version électronique avec ce calcul! Et pendant ce temps, l’éditeur, lui, n'a plus à payer l’imprimeur alors que l’auteur doit toujours payer ses factures à la fin du mois. Je me mets dans la peau d’un auteur et j’ai comme une douleur là où le dos perd son nom...

De plus, la promotion d’un livre ne se fait plus exactement de la même façon. Les auteurs d’aujourd'hui font souvent de l’auto-promotion sur leurs blogues et outils sociaux. Ils devraient pouvoir être rémunérés pour ce travail. Je vais acheter le livre de Patrick Dion parce que je le connais via son blogue, tout simplement. La promotion a été faite par lui dans mon cas. Je ne dis pas que la promotion qui sera faîte par son éditeur ne servira à rien, au contraire je sais très bien qu'elle servira. Je dis simplement que les nouveaux auteurs sont plus en mesure d’assumer leur promotion et que rien n’est fait pour les encourager.

Je trouve dommage que la tarte ne soit pas redistribuée de façon plus juste envers celui qui permet à tous les autres de vivre. Pour moi, un auteur devrait recevoir 25% de la tarte électronique.

Comparer des iTunes avec des livres

La finale de M. Herman est pour moi tout simplement cacophonique. C'est très loin d’être de la musique à mes oreilles. Il donne en exemple le prix de quelques albums sur iTunes vs celui en kiosque. Ce que M. Herman omet, volontairement ou non, c’est que cela n’a pas toujours été le cas. Les compagnies de disque ont DIMINUÉ leurs prix après la venue du iTunes Music Store. Voilà un élément majeur dans la discussion. C’est très dommage de le passer sous le tapis.

J’achète environ 4 albums par mois depuis les 10 dernières années. Oui, j’aime ça la musique. J’ai fouillé dans mes dépenses musicales entre 1998 et 2008. Entre 1998 et 2003, avant la mise en ligne d’iTunes, la moyenne du prix d’un CD était 17$ environ. En 2005, je ne trouve plus aucun CD acheté plus cher que 15$. Inflation incluse. Et évidemment, depuis environ 2007, je n'achète plus aucun album CD. Si vous n’êtes pas sur iTunes, vous n’existez pas pour moi. 9,99$ dans 99% des cas pour ma musique.

Donc la médiane devrait plutôt être 17$ pour un CD vs 10$ pour iTunes. Là, c'est plus équitable. En pourcentage, cela donne 59% de différence. Je suis un homme honnête et un peu bonasse, je cède pour 60%. C'est déjà beaucoup mieux que le 75% avancé.

Dans le fond, je suis content qu’iTunes soit pris en exemple, car si je me rappelle bien (je ne trouve pas de liens pour appuyer ceci), Apple est très loin de faire 30% sur chaque vente d’album. Si le libraire électronique veut se coller au modèle iTunes, il risque de trouver les soirs d’hiver très très long...

Épilogue de mon prologue

En début de ce billet, j'ai présumé que l’éditeur Gilles Herman proposait une introduction afin d'avoir une vraie discussion sur le sujet. Je l’espère fortement, car sinon, il serait très dommage de voir que les bonzes de l’industrie littéraire se sont déjà partagé la tarte de l’eldorado numérique sans vraiment réfléchir au processus. Quand on transpose un modèle traditionnel sur le web sans le modifier, on se pète la fiole à peu près tout le temps. Que le libraire électronique reçoive une promotion et qu'il se retrouve distributeur, cela va de soi selon moi, mais ne mérite pas le 10% du distributeur traditionnel. Les coûts et les ressources ne sont tout simplement pas les mêmes. La politique de prix de jelis.ca n’est pas viable selon moi. Si les dirigeants ne révisent pas leurs prix, le service risque de ne pas lever et il n’aura jamais le succès qu’iTunes a eu.

Selon moi, un livre électronique pourrait coûter 60% du prix en kiosque, être tout à fait rentable, offrir de meilleurs revenus à l’auteur et permettre à cette industrie de modifier sa méthode de distribution. Bien sûr, les libraires seront écorchés vif lorsque la transition sera achevée. Mais y'a-t-il quelqu'un pour plaindre encore aujourd'hui les typographes des années 90?

Au mieux, si jelis.ca ne révise pas sa politique de prix, je trouve que cela laisse toute la place à un autre joueur...

MÀJ 2 septembre à 8h00: Oups, bin voilà, je viens tout juste de lire les commentaires sur le blogue de M. Herman et certains pensent la même chose que moi. J'ai débuté ce billet tôt hier matin mais je n'ai pas eu le temps de le finir avant le début de la soirée. Too late.

Et M. Herman répond un peu plus clairement à propos de certains points et je le remercie. Certains éléments s'éclairent comme par exemple, je croyais à tort que le distributeur virtuel était le libraire, ce qui est inexact. Il s'agit d'une entreprise privée. À moyen terme, un éditeur devrait rapatrier cette partie selon moi. Tout ce travail pourra plus facilement se faire à l'interne.