Je suis Alex Lauzon

22/06/2019
à 21h50

22 juin 2019, Detroit avec au coin gauche
American Coney Island et Lafayette au coin droit

Hier soir, je suis revenu à la maison à pied un peu tard; la nuit était bien tombée. Je me suis mis à m'inquiéter un peu quand j'ai vu à quel point les rues étaient vides de piétons. Il n'y avait personne et presque pas de circulation non plus, une auto ou un bus à l'occasion. J'ai un peu pogné la chienne. Probablement pour rien, mais ce qui m'a eu sur le moment est le silence. Pas une âme qui vive, ça te fout la trousse. Avec certaines maisons en ruine, ça fait film d'horreur ou de suspense en mautadit. Mais bon, finalement, aucune attaque de vampire, de zombies ou de panique. Je me suis bel et bien rendu à la maison sain et sauf. Sans même aucun risque en fait. Juste mon imagination qui me joue des tours.

Ce matin, je démarre ça avec un tour de l'île près de Detroit, Belle Isle. Je m'habille donc avec un t-shirt, des shorts et mes espadrilles. J'enfourche Rutilante et on part comme ça, avec pas'd'cass. J'ai croisé une mammy qui s'est ramassé le dentier par terre en me voyant. Ça va, ça lui fera quelque chose à raconter après sa pratique de chorale demain.

Je me stationne près du pont pour Belle Isle, car j'ai lu que je devais payer pour l'accès en véhicule. Je traverse à pied et je me mets à courir tout le tour de l'île. ±9km, ça se fait bien. La température est parfaite. Je fais le tour et je ne vois nulle part de guérite ou d'endroit où j'aurais dû payer mon accès en moto. Oh well. Ça me fait prendre une plus grande marche. Je reviens à la maison, me douche et repars pour la journée. À la genèse de l'horaire, il y a: Brunch au Red Dunn Kitchen. Belle assiette de Bénédictines, mais le décor est trop propre pour moi. C'est le restaurant d'un hôtel chic et c'est un peu bling-bling.

2e arrêt: Third Man Records, la maison de pressage de vinyles de Jack White. Rutilante voulait un autographe, mais Jack ne travaille pas les samedis. Rien de spécial à dire. C'est un magasin de disques (la musique à l'intérieur était bien bonne: Woods - Live at Third Man Records. Je sors et je spotte un commerce qui va me plaire aussi: Jolly Pumpkin, une microbrasserie. Je reviendrai plus tard dans la journée.

3e arrêt: La bibliothèque municipale de Detroit. Très bel immeuble autant de l'extérieur que de l'intérieur. Je vais le tour et je m'installe pour lire un roman quelques instants. C'est tranquille, ça sent le rat de bibliothèque. J'aime.

4e arrêt: Eastern Market. Pour une fois, c'est moi qui fais le touriste dans un marché public. Je vais en profiter bien comme il faut: je m'arrête en plein milieu de l'allée pour regarder dans le vide en forçant les gens derrière moi à me contourner. Je prends des photos de tout en m'assurant, encore, d'être bien dans le chemin des gens qui font leur marché. Je pose plein de questions aux marchands, mais je n'achète absolument rien. La vengeance est douce au cœur du citoyen. Cela dit, beau marché, très belle ambiance. Un vieux noir, barbe blanche drue et très courte, joue «I feel good» comme un diable. Il «naile» ses riffs comme un champion. Je m'arrête pour l'écouter. Il part «The trill is gone». Wow. Il chante et joue comme un dieu. Je repense à une ancienne flamme devenue coloc avec le temps. Cette chanson résume bien notre inutilement longue histoire. À la fin de celle-ci, me voyant toujours planté là, il me dit «Will you stay there all day, son? What song are you waitin' for?» Hé. Aucune idée, toi. Je dis «Euuhhh. Don't know... Satisfaction». C'est le premier riff qui m'est venu en tête. C'était ça ou je demandais du Vivaldi. Bin quoi? Il rit et dit «So you wanna'me to play a song from the white men who played black music and got fuckin' rich with it, right? Ok. Why not.» Wouain. Je n’ai vraiment pas eu le temps de penser à ça. Et il me joue le meilleur «Satisfaction» que j'ai jamais entendu. Sa voix est vraiment incroyable. Je ne connais rien en musique; je ne sais pas comment il a configuré son ampli, mais le son est vraiment intense. Une femme danse à côté, beau moment. Vive les hasards et les rencontres. Il sourit et s'amuse, je le vois bien. Je n'ai pas d'argent américain sur moi, juste 30$CAD. À la fin de la chanson, on applaudit et je m'approche de lui: «I'm very sorry for this but I don't have US money on me. So here's 20$CAD. And here's another 10$CAD to repay you for having to go to the bank and change it. You should have something like 15$US dollar at the end and finally get some satisfaction.» Il rit franchement, on se sert la main, on se dit de prendre soin de soi et je quitte le marché. Dire que j'ai hésité à passer ici tantôt... Je vais me souvenir longtemps de ce monsieur. Et aussi que je suis parfois vraiment trop dans le moment. J'aurais dû le filmer! Quelle prestation! Mais ce n'est pas du tout un réflexe pour moi. Ça restera un souvenir.

5e arrêt: le marché m'a donné faim. Je me dirige vers American Coney Island afin de goûter leur fameux hot-dog chili. Évidemment, je dois aussi goûter à celui de leur compétiteur de toujours, le Lafayette, commerce tout juste à côté. Verdict? La saucisse du American Coney Island est trop dure à mon avis, il faut vraiment croquer dedans pour prendre une bouchée. C'est l'fun avec les dents, mais pas trop tout de même. Je dis ça, je ne dis rien hin. Et les onions crus sont coupés trop gros. C'est si bon quand c'est coupé finement pour un hot-dog. Et pour finir, le plancher du Coney est collant. J'ai un souvenir du Cinéma l'Amour qui me revient en tête. Celui de Lafayette a la saucisse trop tenace aussi, mais la sauce chili est plus relevée et les onions sont plus petits. J'aime aussi comment ça fonctionne chez Lafayette, depuis la table, le serveur crie les commandes à la cuisine en aire ouverte. Mon genre d'endroit. L'ambiance est beaucoup plus cantine que deli comme chez Coney.

Verdict: Lafayette 2, American Coney Island 1.

Je me promène dans les quartiers de la ville en moto, juste pour faire le tour un peu et me perdre. J'adore ce sentiment d'angoisse légère quand je découvre une ville ou une région. Je n'ai pas de repères et tout m'interpelle. Je me promène à l'aveugle et tranquillement, je finis par tisser des liens et trouver des balises ou des références. Un nom de rue, un commerce, un immeuble. J'adore vivre cette exploration. C'est grisant. Les maisons de Detroit sont superbes et immenses. Sur l'avenue Trumbull, c'est particulièrement frappant. Quelle belle architecture. Le centre-ville aussi est superbe. Je ne sais pas si tout le monde est parti à la plage ou au chalet, mais il n'y a pas beaucoup de véhicules dans les rues. Aucun trafic nulle part. Pour la ville américaine du char, il y a quelque chose d'ironique. Les gens sont à pied, en vélo, en bus et en tramway. On est samedi, je sais bien, mais il me semble que c'était comme ça hier quand je suis arrivé en fin d'après-midi. Je ne suis pas spécialiste du dossier, mais le crash économique de Detroit semble avoir vidé la ville. Ça parait dans le quartier où je suis, Woodbridge. Je dirais qu'une maison sur trois est abandonnée. La plupart sont superbes et victoriennes (enfin, pour ce que j'en connais...). Être américain avec de l'argent et du talent en rénovation, je m'en prendrais une pour la retaper, la vendre et ensuite en prendre une autre à retaper. Quel beau métier ça ferait.

En me promenant, je repense au débat à propos de la piste cyclable sur De Verdun à Montréal. Je pense qu'il faut sortir de notre ville et se promener un peu pour voir ce qui ce fait ailleurs. Je pourrais me tromper, j'ai passé une seule journée à Detroit, mais pour moi, clairement, la mairie a choisi les transports collectifs et actifs. Il y a des pistes cyclables partout, les gens sont à pied, les commerces sont petits, locaux et authentiques. Il n'y a pas tellement de stationnement sur les rues, mais les trottoirs grouillent de monde. Forcément, lorsqu'on densifie une zone et qu'on rend disponible une offre locale de qualité, les gens embarquent.

6e arrêt: Great Lakes coffee pour un «50/50». C'est 50% de bière blonde et 50% de café infusé à froid. Ça donne un peu comme un mélange de Cream ale et de Stout. Je trouve ça un peu fade. C'est comme si on avait allongé mon café avec de l'eau. Mais bon, ce n’est pas mauvais non plus. C'est peut-être juste moi qui ne suis pas encore arrivé à la 3e vague de café.

7e arrêt: Souper chez Selden Standard. Un restaurant qui travaille avec les producteurs agricoles locaux. Comment être contre? Très bel endroit. La terrasse est magnifique. Je débute avec un Negroni qui m'ouvre l'appétit vers des asperges grillées en entrée (cuisson parfaite, mayo pimpée à la fleur d'ail et poivre. C'est goûteux) et une brochette au surlonge de bœuf avec sauce chimichurri, humus aux carottes et jalapeno, olives noires, feuilles de menthe et navets blancs. C'est parfait. La menthe balance le piquant de l’humus. J'adore. En passant, suis-je le seul qui se fait tout le temps demander si tout est ok alors que je viens tout juste de me foutre une bouchée dans la bouche? Ça arrive à tout le monde ça?

8e arrêt: Cocktails (un Detroit Dirty et un Mudlark) chez Cliff Bell's pour un peu de «Jazz and blog». Ça rédige bien mieux avec un p'tit drink pis de la bonne musique.

9e arrêt: Une Baudelaire chez Jolly Pumpkin. Je n'avais pas terminé ce billet et je voulais tester la shop. Pas déçu, ça se boit tuseul. Je publie ce long billet et je rentre. Dodo, car demain, j'ai 800km à faire pour me rendre à Charlevoix. Dans le Michigan là. Faut suivre un peu hin.