Je suis Alex Lauzon

14/05/2019
à 20h39

14 mai 2019, Montréal
saluant ses coureuses

Que se passe-t-il donc? Je ne cours pas depuis des décennies; j’ai débuté la course à pied voici un peu plus d’un an à peine. Mais depuis quelques semaines, je remarque un geste que je n’ai jamais vu avant: le salut du coureur. A-t-il toujours été effectué par les coureurs? Peut-être n’ai-je pas porté attention?

Je connais bien ce geste fait depuis une éternité par les motocyclistes. On se salue pour se dire «sois prudent, amuse-toi. Checke les belles grandes courbes là-bas, prends-les vite, couche ta moto, elle va s’y laisser faire en roucoulant (Si si, on a le temps de se dire tout ça dans un seul geste)». La plupart des motards le font. Certains sont subtils ou paresseux en levant un ou deux doigts sans lâcher la poignée. Mais la majorité fait un geste complet et joyeux. Quand tu allonges complètement le bras en fermant tous les doigts sauf l’index et le majeur, que tu tiens la pose pendant plusieurs secondes, c’est généreux. C’est galant. À chaque fois que je croise un motard qui le fait grassement (pour ne pas dire gracieusement), je me dis que j’irais prendre un verre n’importe quand avec lui. Les histoires rigolotes qu’il pourrait me raconter, je dis pas. Enfin.

Donc, là, l’équivalent entre coureurs? On se dit quoi au juste? «Surveille ta respiration, reste droit, ne pousse pas trop, as-tu essayé l’app de Nike? Malade.»? Est-ce nouveau ou si tout le monde a toujours fait ça? Ça fait des années que je me promène sur la montagne, dans le parc Maisonneuve ou dans les cheveux des femmes (désolé, j’avais une envie pressante d’un zeugme et je n’ai rien trouvé de mieux). Je n’ai jamais été témoin du geste entre deux coureurs. Il est fort probable que ça m’ait toujours échappé. On s’entend.

Cette année, j’ai recommencé à courir à la mi-avril. Je sors 3 fois semaine. Depuis, je dirais que je croise régulièrement une personne par sortie qui me salue. Au début, je pensais avoir halluciné, mais maintenant, je suis formel: les coureurs se saluent entre eux. Sur 10 personnes croisées, je dirais que 8 sont des femmes. Alors, ce sont souvent des femmes qui me saluent. Au début, je me disais «Dieu, yé, je pogne, c’est le printemps, mes phéromones ont terminé leur hibernation, les jolies filles y réagissent, c’est enivrant tout ça, attends, t’a rien vu beauté, je sors du temps des sucres là, j’ai bouffé du lard comme un cochon, j’ai bu de la bière sans bon sens faque là, y’a un 6-8 kilos de trop, ça va partir, je suis justement en train d’y travailler en ce moment même». Puis, la semaine dernière, un homme me fait le signe. Zut. Finalement ça ne serait pas un signe «salut mignon, tu cours souvent ici?» Quoique, bon, le mec, il n’est peut-être pas comme moi, c’est-à-dire un paladin de l’ordre hétérosexuel. Il est peut-être chevalier de la rosette, allez savoir ou lui demander, car moi, la ligue pour laquelle il joue ne me regarde pas.

Et là où je veux en venir, c’est qu’hier matin, une femme m’a fait le signe en me dépassant. Si si. Attends là. On ne s’est pas croisé. Elle m’a passé! Car bien que je puisse encore être un chaud lièvre lorsque l’occasion me fait larron, à la course, je suis une tortue (et tout le monde se rappelle la fable, n’est-ce pas?). Alors, tout de suite après être passée devant moi, elle a sorti généreusement le bras droit en le gardant bas, sous la ceinture, et fait le signe de la victoire une bonne seconde complète. Pareil comme on le ferait en moto.

Je ne sais pas quoi en penser. Est-ce un retour d'une certaine forme de civisme, de galanterie? Ça serait bienvenue. Pour le moment, je sais seulement qu’à Verdun, sur le bord du fleuve très tôt à l’heure dorée, la vue sur ce magnifique arrière-pays s’éloignant tranquillement de moi fût parmi les plus beaux paysages vallonneux qu’il m’aurait été donné à voir.